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Les invisibles de Jane Evelyn Atwood 

10 Avr

Une claque en pleine figure. C’est ce qui vous attend lors de la rétrospective consacrée à la grande photographe Jane Evelyn Atwood.

1.-L_Institut-Départemental-des-Aveugles,-Saint-Mandé,-France,-1980-©-J.E-Atwood

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Il faut mettre sa sensibilité en veille devant la centaine de clichés exposés au Botanique. Depuis 1976, la téméraire et engagée américaine Jane Evelyn Atwood immortalise dans ses sublimes noir et blanc les habituellement « invisibles ». Marginaux, enfants victimes de mines antipersonnel, handicapés mentaux ou prostituées passent de l’ombre à la lumière. C’est toujours avec dignité et poésie que sont ici traitées ces personnes, trop souvent frappées du sceau de la souffrance des corps (déformations, cicatrices, cadavres). Jane Evelyn Atwood a en effet la particularité d’établir entre elle et ses sujets une relation s’inscrivant dans la confiance et la durée. Sa motivation? « Comprendre comment ceux qui ont été cassés par la tragédie de la vie trouvent malgré tout la force d’avancer. »

6.-Blondine-devant-la-porte,-Rue-des-Lombards,-Paris,-1976-1977-©-J.E.-Atwood

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Blondine, Jean-Louis et les autres

La photographe vivra ainsi une année entière en compagnie de « Blondine », une prostituée parisienne, ou encore les quatre derniers mois de Jean-Louis, premier sidéen européen ayant accepté de se faire photographier dans la phase terminale de sa maladie. Et puis il y a ces dix années hallucinantes consacrées aux femmes emprisonnées. A force de ténacité, Atwood parvient à s’introduire dans quarante prisons à travers le monde et rapporte ainsi dans ses valises un reportage-photo glaçant et inédit sur leurs conditions de détentions. Une rétrospective douloureusement édifiante qui vous prend aux tripes. Ames sensibles, passez votre chemin.

( article datant de 2014)

« Jane Evelyn Atwood », Le Botanique, 236 rue royale, 1210 Bruxelles. Jusqu’au 12 janvier.

 

L’art contemporain iranien : Avant, pendant, après la Révolution

17 Août
Mitra Farahani soldat

3 Mitra Farahani (née en 1975) Begir bebar dast az saram bardâr [Prends ma tête mais arrête de me prendre la tête], 2014 Dessins au fusain sur toile, caisson en metal, Collection de l’artiste, Paris D’après une photographie de Alfred Yaghoubzadeh

En Iran, art, société et politique sont intimement liés. Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente actuellement cinquante ans d’art contemporain iranien (1960-2014) au travers d’une vingtaine d’artistes et de deux cent travaux. M…Belgique y était et vous raconte.

 L’exposition débute avec les abstractions linéaires de Behjat Sadr et les peintures inspirées de la mythologie grecque de l’immense Bahman Mohassess. Une période capitale s’étalant de 1960 à 1978, Qualifiée d’époque moderne, elle se caractérise par la volonté de se détacher du répertoire visuel traditionnel iranien (calligraphie, miniature, etc.) au profit d’un nouveau vocabulaire formel.

11 Bahman Mohassess (1931-2010)  Portrait de la mère, 1974  Huile sur toile  © Musée d’art contemporain de Téhéran

11 Bahman Mohassess (1931-2010),Portrait de la mère, 1974,Huile sur toile, © Musée d’art contemporain de Téhéran

 

 

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Behjat Sadr, Unedited History. Iran 1960-2014, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2014,Photographe : Benoît Fougeirol

Ces deux décennies attestant également de l’engouement pour les arts vivants – soutenus par le Shah et l’impératrice – tel que l’étonnant Festival des arts de Shiraz. Reconstitué ici par un corpus documentaire inédit (archives, vidéos, photos etc.), on s’imprègne de l’atmosphère cosmopolite et surréaliste de ce festival réunissant avant-gardes occidentales et artistes du « tiers-monde ». Onze éditions auront lieu avant l’arrêt de cet événement considéré « décadent » et condamné par le régime islamique en 1979. Puis l’on est interpellé par le travail du grand photographe Kaveh Golestan qui capture sur pellicule les prostituées de Téhéran et nous offre ainsi des photographies noirs et blancs vibrantes. Réalisées dans « La Citadelle », (leur lieu de travail) ce quartier sera détruit par un incendie criminel en 1979, deux jours avant la prise de pouvoir de l’ayatollah Khomeyni…

5 Kaveh Golestan (1950-2003), Série des Prostituées (Shahr-e No), 1975-1977 , Photographie, Epreuve Gelatino-Argentique Tirage d’époque, Collection Kaveh Golestan Estate, Londres

Une modernité avortée

1979, c’est cette année là que l’Iran atteint son climax avec la chute du Shah et la mise en place de la République islamique engendrant un bouleversement sans précédent dans la société iranienne : droits de la femme radicalement transformés, fermeture des lieux culturels, création de la police des « mœurs » etc. Le « modernisme » s’essouffle face aux transformations idéologiques. « Memories of destruction », trois heures de rush non montés du documentariste Kamran Shirdel, nous embarque dans la désolation, la violence mais aussi dans l’effervescence révolutionnaire. En 1980 Saddam Hussein attaque le pays. Le bilan? Une guerre « d’usure » de neuf ans totalisant au moins un million de morts. C’est grâce au courage de documentaristes et photographes guidés par leur conscience tels que Morteza Avini et de Bahman Jalali, que l’on peut découvrir des témoignages émouvants et des images inédites de ces jeunes soldats partis au front.

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Unedited History. Iran 1960-2014, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2014 Photographe : Benoît Fougeirol

Depuis les années nonante, une nouvelle génération d’artistes voient le jour et dont les œuvres supportent le poids de l’histoire. Les dessins surprenants de réalisme de Mitra Farahani représentent ainsi le thème de la décapitation dans des portraits géants de soldats. Arash Hanaei réalise lui avec ironie des dessins numériques, où messages publicitaires de marques occidentales se confondent avec les slogans autrefois dédiés aux martyrs. La jeune et courageuse photographe Tahmineh Monzavi dénonce quant à elle dans une série couleur crue et bouleversante les conditions de vie des femmes toxicomanes. Elle sera arrêtée en 2012 par la police et détenue en prison pendant plusieurs mois.

Mitra Farhani

Mitra Farahani  Unedited History. Iran 1960-2014, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2014, Photographe : Benoît Fougeirol

 

 

07. Arash Hanaei.Capital

7 Arash Hanaei (né en 1978), Série Capital, 2009, Impression sur papier couché, Collection de l’artiste

Une exposition passionnante et intelligente qui atteste de la richesse et du renouvellement artistique d’un pays constamment mis au défi.

« Iran Unedited History 1960-2014 », Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris. Jusqu’au 24 août.

Article publié dans »M-Belgique Hebdo » du 8 au 21 août 2014

Cinq photographes iraniens en Normandie

8 Mar

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La photographie iranienne vue de l’intérieur ? C’est ce que propose la très belle exposition “Un air nouveau“ (Havâye Tâze en persan) à la Maison des Arts d’Evreux qui rassemble les trente travaux de cinq artistes iraniens.

C’est sous l’impulsion de Brigitte Brulois, conférencière aux Palais des Beaux-Arts de Lille et artiste plasticienne que le projet est né. Le choix de l’Iran n’a rien d’étonnant quand on sait l’attirance de la commissaire d’exposition pour la langue et la culture iranienne, la connaissance du pays à travers plusieurs voyages, et le fait d’avoir rencontré personnellement tous les artistes (à l’exception de Navid Reyhani).

Brigitte Brulois souhaitait d’abord “ montrer une vision actuelle“ de l’Iran, “ une vision pas très souvent joyeuse“ déplorera-t-elle. Il lui était donc indispensable de présenter les travaux d’artistes résidant et travaillant dans le pays. Il était aussi délibéré de ne pas articuler l’exposition autour d’un thème et ce afin de donner une vision panoramique de la scène artistique iranienne. Enfin, on dénote la volonté   de la commissaire d’exposition de présenter le travail de femmes photographes dénonçant  la condition féminine iranienne et les injustices sociales.

Le ton est donné et les œuvres engagées. Comment dans un pays où la liberté d’expression est souvent malmenée, ces artistes arrivent à transmettre le malaise d’une génération coincée entre le poids des traditions et le désir de modernité ? Comme l’expliquait Anahita Ghabaian Etehadieh, directrice de la célèbre Silk Road Gallery à Téhéran, lors d’un entretien à RFI, “ la photographie n’est pas un jeu pour les artistes iraniens“ car les sujets sont rarement neutres ou désengagés. Pour pouvoir alors s’exprimer ou dénoncer les préjudices, l’artiste doit être capable de contourner les interdits à l’aide de métaphores, sous peine d’être censuré.

Décryptage.

La condition de la femme

Dans sa sublime série en noir et blanc, “Miss Butterfly“ ( fig. 1, 2 & 3), réalisée en 2011, Shadi Ghadirian (née en 1974), figure majeure de la photographie iranienne, montre une femme qui tisse patiemment une gigantesque toile d’araignée dans les différentes pièces de son appartement. La singularité de la mise en scène a été inspirée par la pièce de théâtre Shaparak Khanum écrite par le célèbre dramaturge iranien Bijan Mofid, racontant l’histoire d’un papillon prisonnier d’une toile d’araignée. En reprenant ce conte, la photographe remplace le papillon par une femme captive de son domicile. Si la vulnérabilité et l’isolement de la femme au sein de la société iranienne sont au coeur  de cette série, l’artiste incorpore dans chaque cliché des sources de lumières, symboles d’espoir et de changement. Dans ces photos, Shadi Ghadirian réussit à concilier l’esthétique à la transmission subtile d’un message.

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fig.1

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fig.2

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 Chez Katayoun Karami (née en 1967), la dénonciation de la condition féminine est plus frontale. Adepte de l’auto-portrait, l’artiste se met en scène dans la série “Censorship“ datée de  2004. Elle aborde les problèmes identitaires tels que l’importance d’exister dans une société “dont l’apparence physique [des femmes] doit être niée publiquement“. Ainsi le nombre inscrit sur la plaque d’immatriculation d’un prisonnier  lui donne “la preuve de [son] existence“ ( fig.4). La femme-puzzle ( fig.5) évoque l’identité de la femme “divisée en plusieurs pièces dont la singularité détruite devient un jouet à ne pas trop prendre au sérieux“. Enfin en se recouvrant d’un drap plastique blanc rappelant “le blanc sacré du linceul destiné à effacer les crimes et le sang des blessures“ ( fig.6), Katayoun Karami dénonce l’hypocrisie des “ gardiens de la morale“ et des injustices faites aux femmes.

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fig.4

fig.5

fig.6

La ville

A travers la série “ L’inverse de la ville“ ( fig. 7 & 8), Hamid Ghodrati (né en 1985) montre la ville de Téhéran illuminée mais complètement désertée. Avec ces photographies retravaillées, le photographe semble nous montrer que la vie à l’extérieur n’a pas lieu. Où sont passés les gens ?  Peut-être chez eux, la où ils sont à l’abri des contraintes et des interdits.

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Simulacre et profusion d’images

Avec “Simulation“ ( fig.9 & 10), une série assez intrigante, Mehrdad Asgari Tari (né en 1972) semble explorer plusieurs thèmes à la fois : les multiples facettes des individus “qui acceptent l’aspect multilatéral de leur condition“ tout en attendant le changement  mais aussi une réflexion sur la photographie numérique et son abondance d’images qui, comme l’explique Brigitte Brulois, “masque et dénature la réalité en la remplaçant par des simulacres“.

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La liberté inaccessible

Navid Reyhani (né en 1985) est incontestablement la découverte de l’exposition. Dans sa série noir et blanc intitulée “ Corridor“ ( fig.11, 12 & 13), le jeune photographe  “a construit un corridor vide en ciment où on n’entend le pas d’aucun voisin, où on sent seulement le parfum familier de [ses] rêves qui tournent des quatre côtés“. Une mise en scène dépouillée, quelques objets de la vie courante et un couloir sans issue suffisent à démontrer l’absence de liberté dans une atmosphère à la fois poétique et oppressante.

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fig.13

Armés de ténacité et d’imagination, ces cinq photographes iraniens nous transmettent leur vision d’un pays en ébullition tout en nous laissant au passage une belle leçon de courage et d’espoir.

Remerciements: Merci infiniment à Brigitte Brulois de m’avoir si gentiment accordé une interview et de m’avoir autorisé  la reproduction des photos sur artbruxelles. Merci également à Fabienne Dupont de la Maison des Arts de sa précieuse aide.

Merci à l’association âbe ravân (aabe.ravaan@gmail.com/ http://www.aaberavaan.com), la Ville d’Evreux et à la Scène Nationale Évreux Louviers qui ont permis à cette d’exposition d’avoir lieu.

Infos Pratiques: 

Maison des Arts Solange-Baudoux, Place du Général de Gaulle, 27000 Evreux.

Exposition “ Une air nouveau/ Havâye Tâze“ ouverte du 11 janvier au 9 mars 2013. Entrée libre
 Mardi, jeudi et vendredi 10h-12h, 14h-18h.

« Je valide l’inscription de ce blog au service Paperblog sous le pseudo artbruxelles »